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Titel
Affaire classée. Attac, Securitas, Nestlé


Autor(en)
Feuz, Alec
Erschienen
Lausanne 2009: Editions d'en bas
Anzahl Seiten
213 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Marc Gigase, Section d'Histoire, Université de Lausanne

Le «Nestlégate» éclate le 12 juin 2008 avec la diffusion d’une émission du magazine Temps Présent, qui révèle l’infiltration de l’organisation altermondialiste Attac par Securitas pour le compte de Nestlé. Le reportage dévoile la présence d’une taupe – Sara Meylan – au sein d’Attac-Vaud, qui espionnait depuis 2003 un groupe de travail rédigeant l’ouvrage Attac contre l’Empire Nestlé. Dans ce cadre, l’employée de Securitas récoltait aussi des informations sur des opposants colombiens et brésiliens à la politique de la multinationale. Suite à la découverte de cette infiltration qui déclenche de vives polémiques, la justice est saisie par les membres du groupe d’Attac, qui déposent une plainte pénale. Après une année d’enquête, le juge d’instruction cantonal vaudois en charge du dossier, Jacques Antenen, classe l’affaire à deux reprises par un non-lieu en février et en juillet 2009.

Dans Affaire classée, le journaliste Alec Feuz décortique le travail de Jacques Antenen. L’auteur, qui a eu accès aux procès-verbaux d’auditions, dresse un bilan très critique de la procédure menée par l’ex-juge d’instruction, qui a pris désormais la casquette de commandant de la police cantonale vaudoise. Il qualifie l’enquête menée «d’instruction bâclée» et vise à démontrer de manière minutieuse dans les quelque 200 pages de son ouvrage que JacquesAntenen «n’a tout simplement pas fait son travail» (p. 17). Le journaliste reproche notamment au juge d’instruction de n’avoir mené aucune perquisition dans les locaux des responsables de l’opération d’espionnage, d’avoir laissé aux sociétés Nestlé et Securitas, assistées de leurs avocats, «le soin de choisir elles-mêmes les pièces qu’elles entendaient produire» (p. 176) et d’avoir basé l’enquête sur la bonne foi du géant de l’agroalimentaire et du numéro un de la sécurité privée en Suisse. Il pointe également du doigt les contradictions patentes, les dissimulations, voire les mensonges figurant dans les déclarations des responsables de ces sociétés lors de l’enquête. À l’image des déclarations d’une cadre de Securitas qui jure, au début de l’instruction, qu’il n’y a eu qu’une taupe, avant que l’on découvre que ce sont au final trois agents successifs de la firme qui ontoeuvré à espionnerAttac. Il insiste enfin sur l’existence probable de documents utiles au dossier de l’affaire,mais que la justice vaudoise ne s’est pas donné la peine de chercher. Est-ce dû à de la négligence, à du désintérêt ou à de la connivence? S’il n’y répond pas définitivement, le journaliste démontre en tout cas avec minutie et une pointe de sarcasme les mensonges des uns et la paresse, voire la complaisance, des autres.

Après un examen méticuleux du dossier et de la manière dont l’enquête a été conduite, Alec Feuz ne ménage pas le juge d’instruction qui aurait, selon lui, su «démontrer qu’il savait fermer les yeux sur ce qu’il ne fallait pas voir, ne rien entendre de ce qui ne devait pas être entendu, et se taire plutôt que de poser des questions embarrassantes.» (p. 177). Une posture que l’auteur se plaît à représenter en page de couverture par les trois singes de la sagesse du temple de Tosho-gu au Japon, qui se couvrent chacun une partie différente du visage avec les mains: les yeux, les oreilles et la bouche. Le journaliste ne se montre pas plus tendre envers la gendarmerie vaudoise, qui était au courant de l’infiltration des milieux altermondialistes, ni envers le procureur général du canton de Vaud et le Tribunal d’accusation qui en prennent aussi pour leur grade. «La justice vaudoise ne sort pas grandie dans cette affaire» (p. 178) affirme ainsi Alec Feuz en conclusion de son essai.

Après les révélations sorties par Temps Présent et la tourmente médiatique qui a entouré l’enquête, cet ouvrage permet de combler des zones d’ombre du «Nestlégate». Sa lecture donne ainsi à chacun les moyens de se forger une opinion plus fondée sur cette affaire et la manière dont le dossier a été traité par la justice vaudoise quel que soit d’ailleurs le point de vue du lecteur sur l’opération d’espionnage entreprise par Securitas. Les nombreux exemples distillés dans l’ouvrage consolident les critiques de l’auteur sur les manquements de l’enquête. On est ainsi séduit par la démonstration convaincante et scrupuleuse du journaliste qui suit le fil chronologique de l’instruction menée par le juge Antenen. Toutefois, la mise en exergue systématique des «erreurs d’appréciation» et les questions que le juge d’instruction a omis de poser lors de ses auditions ont tendance à alourdir le récit à coup de répétitions. De plus, l’accumulation des questions non posées donne aussi parfois l’impression d’un réquisitoire contre le juge d’instruction. L’insistance avec laquelle il relève les manquements de l’instruction aurait donc pu laisser place à quelques apports nouveaux de l’auteur lui-même, grâce à la réalisation d’entretiens complémentaires à l’enquête judiciaire par exemple.

En pointant avec justesse les lacunes criantes de l’enquête et les défaillances de la procédure juridique, le journaliste nous amène aussi à questionner le travail de l’appareil judiciaire dans ce type de situation qui oppose des parties auxmoyens et aux influences inégaux. Le souci de ménagerNestlé et Securitas aurait joué un rôle dans le traitement de cette affaire, comme le suggère la phrase de Jean de la Fontaine en exergue du livre: «selon que vous serez puissant ou misérable…» (p. 14).Àce propos, l’auteur conclut que la justice vaudoise n’a pas saisi l’«occasion de faire mentirMonsieur de la Fontaine. L’occasion de montrer que, quel que soit le justiciable, quelle que soit la faiblesse de la victime, la puissance de l’accusé, et vice-versa, elle ne s’en laissait pas conter.» (p. 16) Dans ce dysfonctionnement de la justice, quelle est cependant la part de responsabilité attribuable au magistratAntenen et la part attribuable au système judiciaire lui-même? En étayant les responsabilités partagées et en comparant cette affaire avec d’autres cas,Alec Feuz aurait ainsi pu mettre en perspective le «Nestlégate» etmontrer en quoi l’instruction de ce dossier est représentative du traitement des plus faibles par les autorités judiciaires. Enfin, l’ouvrage est accompagné d’une préface signée par le conseiller aux États Luc Recordon qui inscrit le «Nestlégate» dans une histoire plus longue de la protection et du respect de la sphère privée en Suisse et qui rappelle les cas où celle-ci a été violée, comme lors de l’affaire des fiches ou ici avec l’espionnage d’Attac par Securitas.

Citation:
Marc Gigase: Compte rendu de: Alec Feuz, Affaire classée, Attac, Securitas, Nestlé, Lausanne: Éditions d’En bas, 2009. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 118, 2010, p. 278-279.

Redaktion
Veröffentlicht am
21.06.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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